- Cet évènement est passé
12 décembre, 2023/5:30 pm - 7:30 pm
Le Familistère sans Godin
Pour assurer son œuvre post-mortem, Godin fonda en 1880, l’Association Coopérative du Capital et du Travail, Société du Familistère de Guise. Dans un premier temps, le Familistère et l’entreprise tous deux créés par Godin ont continué à fonctionner avec succès et prospérité. Les successeurs de Godin, à la tête de la Société parviennent non sans mal à tenir le cap, mais tout change en 1929. Il y a à ce moment-là, l’effet de la crise économique dont les effets se font sentir et qui est concomitante à la grève surprise des ouvriers de l’usine. Même si la situation de la Société est encore florissante, il se crée une fracture quasi définitive entre les associés logés au Familistère et les ouvriers qui n’y habitent pas. De plus, les crises se succèdent sur le plan de la gestion entre les associés qui perdent également de vue l’environnement concurrentiel, surtout lors de l’avènement du Marché Commun. Les produits Godin, même s’ils sont de très bonne facture, sont trop chers pour les consommateurs des années 60 qui leur préfèrent des équipements ménagers fabriqués hors de France. En 1968, c’est la fin de la Société coopérative qui se transforme en société anonyme à conseil d’administration. La société Le Creuset rachète les actions de l’usine détenues par les associés. Les bâtiments d’habitation sont vendus, en priorité aux habitants déjà en place. Mais au et à mesure des années, les bâtiments se vident, se délabrent. Les annexes (écoles, théâtres, jardins) sont rachetées par la commune de Guise qui ne sait pas quoi en faire.
La thèse monumentale de doctorat de l’Université Paris I de Guy Delabre et Jean-Marie Gautier en 1974 et les articles universitaires, publiés par la suite, ont attiré l’attention sur Godin et le Familistère. À la suite de quoi, une fondation Godin a été créée en 1989. Mais, le tournant qui a sauvé le Familistère est le classement au titre des monuments historiques en 1991. Il a fallu plusieurs années pour concevoir un projet. Celui-ci s’appellera Utopia. À partir des années 2002, jusqu’à aujourd’hui, les fonds pour restaurer abondent, les monuments sont sauvés et sont ouverts au public. Le pavillon gauche est mis à la disposition des chercheurs, des artistes et des jeunes start-ups qui peuvent l’occuper et même s’y loger quelque temps pour leurs travaux. Le théâtre est utilisé pour les spectacles et les séminaires. Les écoles sont devenues communales.
L’initiative socialiste de mettre le capital au service du travail aura duré pendant quatre-vingts ans après Godin. Si l’on considère que la Société Familistère est une utopie réaliste, c’est la seule parmi les dizaines d’autres qui ont existé dans monde à avoir duré aussi longtemps. L’échec de cette « utopie » montre qu’une voie entre capitalisme et planification n’est pas encore trouvée. Toutefois, la Société du Familistère a permis à ses adhérents de disposer dès le début de bienfaits sociaux (mutualité d’aide aux soins et aux aléas de la vie, mixité des classes pour les écoles, promotion du travail féminin, logements accessibles aux couples libres…) bien avant que ceux-ci ne soient inscrits dans la loi.